(Journal du 30.X.2024) Soirée très arrosée, plus encore de rires que d’alcools, hier, avec la bande habituelle du dicastère, augmentée des deux nouvelles lieutenantes de la nouvelle catégore. Il y a véritablement une ivresse, et même une ὕϐρις du rire. Nos plaisanteries allaient du plus bas au plus méchant, et nous sautions allègrement du coq à l’âne, c’est-à-dire des considérations les plus graveleuses aux moqueries les plus cruelles au sujet de Chryséis, par exemple, cette fille handicapée de mon service, au physique ingrat, très gentille, mais dont les troubles dys-, comme on dit (elle doit les avoir tous !), ont pour conséquence une grande désorganisation des archives, ce qui rend tout le monde à peu près fou. Je dois confesser ne pas avoir fini dernier, dans ce mauvais concours. Il est même à craindre que ce soit moi qui aie remporté la palme dans les deux catégories, le gras et le méchant… (Chryséis m’inspire hélas beaucoup…) Je pourrais dire pour ma défense que tout cela fait partie de mon personnage, que c’est le masque farcesque derrière lequel je dois me cacher. Et sans doute y a-t-il de cela, en effet. Mais la vérité est que je prends un plaisir extrême à ces orgies verbales, fielleuses et scabreuses. Peut-être est-ce en cette compagnie, et dans ces moments, que je suis le plus poète ; le plus improvisateur, à tout le moins. Il n’y a pas de différence de nature entre la saillie cruelle dans les conversations et la pointe du sonnet en poésie. Finalement, j’aurais pu être un parfait harceleur, au collège. Il n’est d’ailleurs pas impossible que je l’aie été, durant mes études supérieures… Mais tant que toute cette malveillance se donne libre cours à l’insu de la personne concernée, l’on ne peut pas vraiment dire qu’elle en souffre ! Et d’ailleurs, je suis l’un des seuls (et l’on m’admire pour cela, à l’étage de la catégore) à faire la conversation à Chryséis, par souci d’humanité, justement, alors qu’elle a le don de vider tous les sujets de l’intérêt qu’ils pourraient avoir, à cause de tous les détours qu’elle emprunte avant d’arriver au point dont il est en principe question. « Elle n’a pas les codes », comme on dit désormais proverbialement à son sujet. Comme je parlais de mon projet de nouvelle coupe de cheveux, Nouménios a proposé de nous rendre ensemble chez le coiffeur, la semaine prochaine. « Oh ! C’est mignon, ils vont se faire un plan coiffeur », s’est écrié quelqu’un. Arminie n’est pas très favorable à ce rendez-vous, parce qu’elle estime que les cheveux de Nouménios ne sont pas encore assez longs pour devoir être coupés. Elle est probablement plutôt contre le principe d’une rencontre en son absence entre Nouménios et moi. On la comprend. C’est très étrange, cette façon qu’a Nouménios de me tourner autour. Il a parfois des regards d’amoureux transi ne sachant pas comment faire le premier pas. Sans doute peut-il y avoir entre les mâles hétérosexuels des sortes de coups de foudre (mais le mot est trop fort), des attirances irrésistibles pour un autre, sans qu’y entre la moindre part de désir sexuel ou amoureux, mais probablement une autre sorte de désir, qu’il doit bien être possible de qualifier, mais je ne sais comment. Je suis en vacances, la semaine prochaine, mais l’agenda de Nouménios est si chargé qu’il n’est pas certains que nous arriverons à convenir d’une date ni d’une heure, d’autant qu’il faut également que les deux coiffeurs chez qui nous allons habituellement soient disponibles en même temps. C’est un plan à quatre, finalement.
30.X.2024
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