Journal du 08.IX.2024 : HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 08.IX.2024) À moins que mon impression ne soit qu’une conséquence passagère de la mauvaise humeur où je suis depuis quelques jours, ou même de cette grande faculté que je crois avoir de suivre de mauvaises pistes et de me perdre dans des idées absurdes, grotesques ou illusoires, il me semble franchir en ce moment une nouvelle étape dans l’étrange cheminement qui m’éloigne peu à peu de ma famille. Je me demande si ce fait ne coïncide pas avec la décision que je pris il y a quelques mois de me donner un nom de plume dont personne, parmi les miens, n’a connaissance. Je me sens de moins en moins cet ‘‘Olivier Antire’’ que j’étais depuis la naissance, me considérant désormais de plus en plus comme un Olivier Causte qui, pourtant, n’existe guère en dehors de Facebook, d’un blogue obscur ou de la couverture d’une plaquette qui n’a pas trouvé dix lecteurs. (Mais voilà : cet Olivier Causte hantait depuis longtemps déjà mes brumes intérieures, et son visage recouvre en quelque sorte presque entièrement mes propres traits, mais sur l’autre face, celle qui se trouve sous la peau.) C’est un nom qui ne renvoie presque à aucune réalité du monde. D’ailleurs, si l’on tape la requête « Olivier Causte » dans Google, on ne trouve que des Olivier Coste ! Mais depuis que je me suis donné ce nom plus court d’une syllabe, je me sens paradoxalement beaucoup plus à l’étroit parmi les miens. Ou plutôt non ! Je m’y suis toujours senti très à l’étroit, mais désormais, tenir le rôle qui m’a été assigné dans cette mauvaise comédie familiale a de moins en moins de sens pour moi. Puisque j’ai décidé d’être Olivier Causte, pourquoi devrais-je continuer à me faire passer pour ce personnage d’Olivier Antire aux yeux d’une parentèle qui s’est toujours montrée si mauvais public ? À quoi bon m’épuiser encore sur le théâtre avec des partenaires de jeux qui, probablement, sont unanimes à me trouver mauvais acteur, trop irrégulier, presque toujours faux, comme absent, et ne croyant pas à son personnage, et tout à coup trop habité par lui, et lui donnant trop d’ampleur, une intensité presque effrayante, qui prend toute la place, et qui vole la vedette ? Mais je m’aperçois que la métaphore est mal choisie, puisque ce qui ne va pas, au fond, depuis toujours, c’est que je me laisse déborder par une vérité (la mienne, car je ne vois pas comment la définir autrement…) qui heurte, qui choque mes proches, parce qu’elle me pousse, malgré moi, à dissiper l’illusion comique (sur la scène familiale uniquement, car à l’extérieur, mon masque, plus ajusté, tient mieux). Après des périodes d’accalmie, parfois longues, je recommence toujours à me rendre, du moins dans ma famille (je le répète), incompréhensible aux uns, insupportable aux autres, sans d’ailleurs pouvoir dire si ce sont les rôles qu’ils tiennent qui peinent à me subir ou m’ignorer, ou bien les comédiens de chair qu’il y a sous leurs masques. Pour ce qui est des autres, j’ai renoncé à m’en faire comprendre depuis longtemps, d’où, peut-être, que mon masque tienne mieux devant eux (connaissances, amis, amants, etc.), ce qu’écrivant, je suis le premier surpris de devoir conclure que j’espérerais donc encore me faire comprendre des miens, ce qui me paraît foncièrement irréaliste. Et pourtant, je l’ai dit, c’est à peine si j’ai l’usage de ce nom, qui n’a de réalité que virtuelle ou littéraire. Mais c’est comme si, en me le donnant, j’étais déjà devenu tout à fait quelqu’un d’autre. Quelqu’un de plus libre ; en tout cas de beaucoup plus fait pour être libre. Ce qui est certain, c’est que je me sens bien moins appartenir à ma famille. À ma mère surtout, qui a toujours porté pour nom d’usage celui de mon père, même après leur divorce, et je me demande bien pourquoi, puisqu’elle a gardé de son mariage une détestation viscérale des hommes, ce qui, d’ailleurs, ne l’a pas empêchée de rester en bons termes avec mon père, cette bonne entente étant à leurs yeux, ou pour la galerie, un signe d’intelligence et de modernité. Mais je me sens aussi de plus en plus étranger à mes sœurs, dont les prétendant ou mari m’ont déjà beaucoup éloigné. Mais découvrir le bras droit de Junie tout à coup entièrement recouvert de tatouages ou apprendre le projet d’installation de Délie dans le Golfe Persique m’a fait réaliser à quel point nous n’étions pas de la même planète, elles et moi. (Car il me faut être honnête : je me plains d’être incompris, mais enfin, moi non plus, je ne les comprends pas !) Quant à mon père, qui ne fut que très peu mon père à l’âge où en avoir un eût peut-être été de quelque utilité, il est en train de perdre la mémoire, et c’est très bien ainsi. Ça m’évitera d’avoir à le renier quand je serai devenu entièrement cet Olivier Causte qui m’a déjà tellement changé. Ni lui ni moi ne nous rappellerons qui j’étais ! Il y a dans tout cela quelque chose d’effrayant, car je m’aperçois que ce qui m’arrive, finalement, c’est que je commence à me préparer à la vie d’après, je veux dire : après la mort de mes parents.

 

08.IX.2024

08/09/2024, 23:48 | Lien permanent | Commentaires (0)

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