Journal du 30.IX.2024 : HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 30.IX.2024) J’ai reçu tout à l’heure le jugement du tribunal administratif, qui annule mon licenciement. Je ne crie pas encore victoire, car le rectorat peut faire appel de cette décision dans les deux mois. Et ma victoire est toute relative, car le tribunal ne remet pas en question le fait que le texte que j’avais posté sur Facebook en octobre 2021 « constitue un manquement aux obligations et à la déontologie d’un enseignant » ni qu’il justifie une sanction disciplinaire. C’est la disproportion de la sanction qui est censurée. Le tribunal explique sa décision ainsi : « Toutefois, il résulte de ce qui précède que les propos écrits par M. Antire, pour inappropriés, irrespectueux et déplorables qu’ils soient, ont été publiés à destination d’un cercle restreint de contacts. Si l’administration conteste, en défense, le caractère restreint de la publication, elle n’établit pas, par la production de copies d’écran postérieures à la décision en litige et qui concernent des publications différentes, que le texte publié le 5 octobre 2021 était librement accessible à des utilisateurs étrangers à la liste de contact de l’intéressé. De plus, le travestissement des prénoms, comme la teneur ouvertement littéraire du texte, en forme de pamphlet imitant des textes de la littérature classique, témoignent des intentions artistiques de l’auteur, cherchant à briller par la formule davantage qu’à moquer ses élèves ou à dénigrer l’institution. Dans ces conditions, la sanction dont il a fait l’objet, qui est la plus sévère, apparaît disproportionnée à la gravité des fautes retenues à son encontre. » La plupart des arguments que j’ai avancés (souvent, il est vrai, en tirant fort sur les cheveux) n’ont été d’aucune portée, sauf ceux qui visaient à établir la teneur littéraire du texte. J’ai pour ma part constamment cherché à démontrer qu’il n’y avait pas lieu de me sanctionner, ce qui était sans doute un peu ‘‘gonflé’’. La disproportion de la sanction n’a été l’affaire que de mon avocate. Heureusement qu’elle était là ! Mais quelque chose m’attriste dans ce jugement : c’est cette indéniable vérité qu’il dit sur moi, malgré mes efforts pour aller contre, savoir que je chercherais à briller par la formule… C’est malheureusement très juste. Il y a dans ma prose un désir de briller qui confine parfois à l’ὕϐρις. Il me semble être très différent dans mes vers, sauf, bien sûr, lorsque je me mets à discourir en vers, ce qui arrive hélas dans certaines pièces longues, mes élégies par exemple. Mais j’ai beau m’astreindre moralement à toute la modestie dont je suis capable, une force irrésistible émane de la prose, un sentiment de puissance, celle de la langue-même, qui peut tout dire, tout concevoir, tout imaginer, et qui me déborde et me transporte, jusqu’à me faire tenir des propos inévitablement blessants pour qui ne penserait pas comme moi. Et je m’avance beaucoup en disant « comme moi ». Il serait plus juste de dire comme ce possédé, dont la langue s’est emparée, et qui n’est pas tout à fait moi, ou qui n’est moi que dans une tout autre mesure, incommensurable à ces fractions d’hommes qui sont mes contemporains, et dont je suis moi-même, lorsque la langue me laisse tranquille. Car cette paix est possible et, par exemple, il arrive que je prononce devant Psaltérion une succession de syllabes qui n’ont aucun sens en français, ni d’ailleurs dans aucune autre langue, mais que la chienne comprend très bien. La prose est pour moi le lieu de tous les débordements. Le vers est celui des bornes. La prose est foncièrement terrienne : même si elle se permet de folles danses et des sauts dangereusement acrobatiques, c’est presque toujours pour plonger les mains plus profondément encore dans les passions humaines les plus fangeuses. Le vers, au contraire, lève les yeux vers le ciel, il regarde la lune, dont les cratères forment des runes à déchiffrer, la partition de la musique des sphères. Paradoxalement, le vers permet de trouver quelques beautés qui passent toutes les bornes, mais ces trouvailles, purement éthérées, sont sans rapport avec le cours des choses sur terre, elles n’ont aucune influence sur les affaires humaines. Peut-être était-ce le cas en d’autres temps, lorsqu’on assassinait encore les poètes, mais plus maintenant… D’ailleurs, le poète lui-même est conscient de ne plus courir aucun danger. Il ne craint pas pour sa vie. Il craint pour sa carrière. Orphée a la tête sur les épaules. Le sang du poète n’est plus d’encre. Mais le jugement du tribunal dit une autre vérité, bien décourageante, qui contredit en partie la distinction que je viens de faire entre prose et vers. Même la prose, pourtant si tournée vers les affaires humaines, est foncièrement impuissante à la fin, puisqu’on ne la prend pas au sérieux. La sanction est disproportionnée, explique-t-on, parce que ma prose n’avait pas tant pour véritable vocation de dire ce que je lui fais dire que de briller par la formule. Je n’ai pas moqué mes élèves, je n’ai pas dénigré l’institution : j’ai cherché à briller. J’ai voulu faire l’étoile ! Et c’est la vérité. Quoi que je fasse, tout me renvoie dans les nuages, dans les nuées, dans l’empyrée, dans le feu de mon nom ! Je ne suis vraiment pas de ce monde.

 

30.IX.2024

30/09/2024, 23:44 | Lien permanent | Commentaires (0)

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