(Journal du 08.IV.2024) J’ai découvert par hasard aujourd’hui que la mère d’élève qui avait cru reconnaître son fils dans l’horrible petit personnage obèse que j’avais décrit dans un texte posté sur Facebook en octobre 2021, dont la divulgation en dehors de la sphère de mes ‘‘amis’’ sur le réseau social avait fini par causer mon licenciement, il y a un peu plus de deux ans déjà, vivait en concubinage avec un peintre : non pas un peintre en bâtiment, mais un artiste, du genre de ceux qui réalisent dans les écoles des fresques ‘‘pour le vivre ensemble’’, ai-je appris dans une vidéo en ligne à lui consacrée. Bien que son nom ne me dise rien, je me demande si l’artiste en question n’aurait pas quelque lien webmatique avec la Galerie Fabienne et s’il ne serait donc pas, par ce biais, le chaînon manquant, je veux dire la personne que je n’ai jamais réussi à identifier et qui aurait fait lire le texte fatal, auquel seuls mes ‘‘amis Facebook’’ devaient avoir accès, à une mère pour qui la question du poids était apparemment un sujet très sensible, car je dois dire qu’il m’avait complètement échappé, à l’époque, que son fils pût passer pour gros. Peut-être était-il vaguement enrobé, mais pas assez pour que je m’en fisse la remarque. Ce n’est qu’ensuite (parce que la mère avait cru reconnaître son fils dans le petit personnage obèse) que je m’étais dit, que, peut-être, en effet… En revanche, ce que j’avais bien remarqué, lors d’un rendez-vous au sujet de ce fils particulièrement agité, c’est que la mère avait tout l’air d’une anorexique surmenée, ce qui aurait dû m’alerter, mais comme elle était professeur des écoles, je m’étais dit qu’il n’y avait là rien que de très banal, en tout cas rien d’inquiétant pour moi… Le père n’était pas mal non plus, dans son genre ! C’était un élagueur à dreadlocks, joli garçon d’ailleurs, et qui, un soir, pensant se rendre à un rendez-vous avec le professeur principal de son fils, mais arrivé en retard d’une bonne heure, avait débarqué en plein milieu d’une réunion des ‘‘équipes enseignantes’’, en allant les pieds nus, comme une espèce de hippie, ou comme un sauvage tombé de son arbre ! Pour en revenir à la génitrice, je me rappelle que, lors de notre rencontre pour parler du comportement de son fils, en présence de ce dernier, celle-ci avait fini par s’adresser à lui en mère inquiète, qui ne le comprenait plus, qui ne le reconnaissait pas : il devait se ressaisir, faire des efforts, c’était comme pour ses problèmes de poids, avait-elle dit, il fallait qu’il arrête de manger autant ! Cette histoire de poids m’avait certes étonné, mais la pauvre femme avait l’air tellement femme, elle me semblait si surmenée, il émanait de tout son corps une si grande vibration de tourmente hystérique, comme on ne dit plus guère, que j’avais pris cette remarque pour une manifestation parmi cent autres de la classique névrose des maîtresses d’école et de maison complètement débordées. En réalité, je l’ai compris par la suite, celle-ci ne craignait pas seulement que son fils prît du poids : mais, souffrant en quelque sorte de dysmorphophobie par procuration, comme d’autres font le syndrome de Münchhausen, elle le trouvait réellement trop gros, à tel point que, dans son esprit malade, le personnage grotesque que j’avais imaginé dans mon petit texte lui semblait un portrait fidèle du fruit sainement charnu de ses entrailles de maigre fiévreuse obsessionnelle. Sans doute, avec de tels parents, mon agité d’élève était-il plus à plaindre qu’à blâmer… D’ailleurs, je le trouvais très vif d’esprit, très intelligent, du genre qui s’ennuie pendant les cours parce qu’il comprend et travaille vite, et qui, pour s’occuper, s’amuse à tourmenter ses camarades. Quand j’interrogeais la classe, il voulait répondre à toutes les questions et se moquait volontiers des réponses moins brillantes des autres élèves. Je tentais de lui apprendre à céder la parole ou à garder le silence quand je ne la lui donnais pas, ce dont il concevait une frustration qui confinait à la rage. Tout cela nous mena, lui et moi, dans une espèce de conflit dont je ne savais trop comment me sortir et qui, sans doute, joua son rôle dans la drôle d’interprétation que firent ses parents d’un texte dans lequel il n’était pas du tout question de lui. Mais je crois que je ne lui en veux pas. Après tout, ce n’était qu’un garçon de douze ans. Et puis il avait la passion des chiens, c’est donc qu’il n’était pas mauvais bougre. Je me demande parfois s’il a conscience d’avoir pu être la cause, bien involontaire, de ma mise à mort professionnelle. Probablement non, et c’est tant mieux ! Mais qu’a-t-on pu leur dire, à tous ces enfants, pour expliquer ma disparition soudaine, comme si j’étais vraiment mort brutalement ? Il devait bien y en avoir, dans le lot, qui m’aimaient, et qui ont dû se demander ce qu’il m’était arrivé.
08.IV.2024
Les commentaires sont fermés.