Journal du 27.VII.2024 : HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 27.VII.2024) Je n’ai pas voulu m’infliger le visionnage de la cérémonie d’ouverture, car je savais qu’il y aurait là pour mes regards quelque chose d’insoutenable. Mais je n’ai pas pu échapper à quelques images et commentaires en ligne. Pour terminer le Testament d’Attis, je travaille en ce moment à l’écriture d’une longue élégie, fastidieuse, bavarde, « de la prose écrite en vers », comme dirait Jacques Réda*. Je n’y suis vraiment pas à mon meilleur. Le comble est que j’écris cette espèce de postface pour m’excuser de donner à lire un livre aussi mal fichu, aussi ‘‘premier livre’’, et tellement moins réussi que Sonnets de guerre et quatorzains de paix (bien meilleur en étant bien plus court). J’affecte aussi, tel un Horace s’adressant à son liber comme à un fils, de vouloir calmer les ardeurs d’un livre « qui vient paraître ici, tout frais, tout vert, / Par une main curieuse impatient d’être ouvert », alors qu’à l’évidence personne ne l’attend dans un monde qui n’est plus celui d’Horace depuis bien longtemps, mais qui n’est même plus le mien du tout.

 

Et l’on n’est plus à Rome ! Il n’y a plus de Rome, hélas !
          Car nul encore aux arts de la vierge Pallas
Ne veut être initié pour faire un desservant du culte.
          Aux branches de Virgile il n’est plus de virgulte.

 

Oui, virgulte. J’ai dit que c’était une élégie fastidieuse. Le monde est désormais celui du sept octobre. Et surtout de ses interminables répliques, qui ne font que grossir une eau qui semble vouloir prendre les proportions d’un véritable raz de marée. Non seulement la table est rase, mais plus aucune balance ne fonctionne. La jeunesse à paillettes dans les yeux semble vraiment croire non seulement que les opérations de Tsahal à Gaza sont un crime, mais encore que ce crime est plus grand que celui du mois d’octobre. Mais si celui qui sauve un homme sauve l’univers tout entier, c’est parce que toutes les vies innocentes se valent. Tuer quatre hommes au lieu de huit n’est pas moins grave de moitié. Et je ne me lasse pas de citer cette phrase de Raymond Abellio, si éclairante dans une nuit si noire de morts : « j’étais bien obligé de me dire que le sens d’une civilisation se mesurait désormais beaucoup moins à la quantité de ses victimes qu’à la qualité de ses tueurs**. » Je ne vois vraiment pas quel avenir pourrait avoir mon livre dans un monde où la jeunesse est à ce point décérébrée qu’elle n’est pas capable de mesurer la différence entre une armée régulière comme Tsahal et une foule d’assassins comme ceux du sept octobre. Je ne vois pas quelle place pourraient se faire mes vers, si obsessionnellement mesurés, dans un monde qui a si manifestement perdu tout sens de la mesure. Mais peut-être faudrait-il tout récrire. Après tout, je n’écris pas pour le monde. J’écris pour la France, en français. Et la France, c’est donc désormais ce qu’elle donne à voir dans sa cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques : un Silène bleuâtre sur la table d’une cène où le Christ est une personne obèse au sexe indéterminé ; Aya Nakamura sur le pont des Arts ; Céline Dion payée deux millions. Dans une telle France, quelle chance un poète aurait-il donc que sa voix porte au-delà de sa chambre ? Alors un mauvais poète, et complètement anachronique, n’en parlons pas ! Est confirmée cette idée que je crois avoir déjà dite selon laquelle je n’écris que pour quelques philologues qui feront leurs recherches dans deux mille ans. Ou pour les malheureux écoliers qui plancheront sur leur version, et pour qui le XXIe siècle paraîtra bien proche du XVIIe, comme il me semblait, quand je planchais sur mon latin, qu’il n’y avait pas loin de Cicéron à Saint Augustin.

 

* Celle qui vient à pas légers, éditions Fata Morgana, [1985] 2023, p. 74.

** La Fosse de Babel, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1962, p. 29.

 

27.VII.2024

27/07/2024, 13:03 | Lien permanent | Commentaires (0)

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