Journal du 04.VIII.2024 : HORTVS ADONIDIS

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Stephen Tennant en prince Charmant, Cecil Beaton, 1927

 

(Journal du 04.VIII.2024) J’ai regardé hier soir Les Carnets de Siegfried (Benediction), dernier film de Terence Davies. Le visage vieilli en quelques secondes de Siegfried Sassoon derrière la fenêtre, et peut-être plus encore celui de Stephen Tennant se regardant dans le miroir m’ont très impressionné. L’amertume du poète devenu vieillard, presque mutique, également. Il me semble que je pourrais faire un vieillard comme celui du film, j’allais dire : si Dieu me prête vie jusque-là ! Du moins le fardeau d’avoir une femme et un fils me sera-t-il épargné. On a beau se scruter dans les miroirs pour constater le passage du temps sur son visage, jamais on ne le voit faire son œuvre aussi rapidement que dans ces beaux plans du film. Le temps nous est donné pour nous habituer. Le temps nous est donné pour nous y préparer (à la mort). Je ne me remets pas de la vision de ce Stephen Tennant affreusement vieilli. L’on ne peut se permettre d’incarner la grâce et la futilité, si séduisantes, si désirables soient-elles, qu’à condition de mourir jeune. Sinon, mieux vaut être grave et sérieux dès l’enfance. Le miroir nous défigurera moins. Le cadavre nous ressemblera mieux. Peut-on rien concevoir de plus triste que le vieux Tennant rendant visite à Sassoon et lui faisant remarquer ses mains encore belles ? Le cinéaste est si cruel avec son personnage qu’il le montre aussi vieux que le poète, malgré la différence de génération. Un Jacques de Bascher de soixante ou quatre-vingts ans aurait-il été si pathétique que le Stephen Tennant du film ? Celui de la réalité, paraît-il, a passé sa vieillesse reclus dans son manoir où, même la famille royale, ai-je lu, n’était pas assurée d’être admise. C’est en effet ce qu’il y a de mieux à faire quand on a cessé d’être the brightest of the Bright Young People. Mais ce qui, dans le film, est encore plus à vous fendre le cœur, ce sont les regards que s’échangent Sassoon et Glen Byam Shaw sans jamais parvenir à se dire ce qu’ils devraient. Mes plus belles histoires d’amour ne sont pas allées plus loin que ces regards pleins d’une grande promesse jamais tenue, je parle de ces regards qu’on échange avant que n’advienne quelque-chose qu’on espère, qu’on attend et qu’on aimerait susciter par eux, mais qui peut très bien ne jamais se produire. Finalement, quelque-chose me dit que c’est là ce qu’il y a de meilleur : le bord des charmes, comme on dit le bord des larmes. Je me souviens tout particulièrement de ce garçon d’il y a plus de vingt ans, avec qui j’avais d’autant mieux parlé avec les yeux qu’il était bègue, et donc peu enclin à ouvrir la bouche. Il m’avait abordé lors d’une soirée en ville en affectant de faire tomber par inadvertance une petite feuille de papier en passant devant moi. J’y avais lu le mot qui m’était destiné et nous avions passé la nuit ensemble, à deviser avec les yeux et faire d’autres choses. Et puis le lendemain, il s’était souvenu qu’il avait un père. Je l’avais aperçu la veille. L’homme avait un air vraiment pas net, et même effrayant. Il était si incompréhensiblement jaloux que je me suis toujours demandé s’il était vraiment le père du jeune homme. Ou bien c’est qu’il y a des pères qui sont amoureux de leurs fils. Je n’ai jamais revu ce garçon avec qui, peut-être, j’ai le mieux parlé de ma vie. J’aurais probablement pu la terminer avec lui, car il y avait entre nous la même simplicité de rapports qu’avec la chienne Psaltérion.

 

Illustration : Stephen Tennant photographié en prince charmant par Cecil Beaton, 1927.

 

04.VIII.2024

04/08/2024, 23:45 | Lien permanent | Commentaires (0)

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