Journal du 02.IX.2024 : HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 02.IX.2024) Après trois éprouvantes journées d’intenses relations familiales, j’ai trouvé ce matin dans ma boîte aux lettres électronique une assez bonne nouvelle, et qui, j’espère, ne sera pas que l’annonciatrice d’une plus grande déception : mon avocate m’apprend que les conclusions du rapporteur public vont dans le sens de l’annulation de l’arrêté du 15 mars 2022 de la rectrice de l’académie d’Acaris et de la décision implicite par laquelle mon recours gracieux a été rejeté pour disproportion de la sanction (savoir : mon licenciement.) La décision devrait être rendue courant septembre. Mais je suis trop accablé par les trois jours qui viennent de m’être infligés pour pouvoir être tout à la joie d’une petite victoire qui, d’ailleurs, n’est peut-être que temporaire. Car ce n’est pas un, mais deux beaux-frères qu’il m’a fallu subir pendant trois jours, même si le second n’est pas encore officiellement marié à Délie. Mais le diamant de la bague de fiançailles est assez gros, comme celui qui l’a fait tailler n’a pas manqué de nous le faire remarquer, pour qu’on ne doute pas que le mariage soit en bonne voie. J’ai très vite flairé l’entourloupe quand il a été question, il y a quelques mois, de l’installation de Délie et de ce Ctésiclès dans l’espèce d’énorme ville franche d’un petit royaume de la péninsule arabique. Et je pense avoir eu confirmation que j’avais devant moi un très beau spécimen de parfait salaud après une remarque que j’ai faite par simple plaisanterie, d’ailleurs amenée par celui-ci, sur le fait qu’il ne devait guère fréquenter les librairies pour trouver d’une grande originalité celle où nous nous trouvions en train de prendre l’apéritif. Car il me faut préciser qu’Hipponaüs, l’autre mari, celui de ma sœur Junie, avait insisté pour que nous vinssions là (c’est-à-dire dans la librairie de son grand ami Philoclès, qui me sort littéralement par les yeux) plutôt qu’au Cosmos où nous voulions d’abord aller, Junie et moi, mais dont le patron est tout particulièrement détesté d’Hipponaüs, au prétexte qu’il serait un dealer (raison qui me paraît un peu cocasse venant d’un homme dont le métier consiste à fournir en alcool la plupart des établissements d’Argolide), mais sans doute plutôt, en réalité (du moins d’après moi), parce que ce prétendu dealer fut l’un des grands témoins de la vie de ma sœur avant son mariage avec Hipponaüs, qui est comme tous ces hommes dont la seule consistance réside dans la qualité de la carrosserie de leur voiture ou de la personne qu’ils y assoient à leur côté : ils ne supportent pas l’idée que leurs femme puissent avoir un passé : ils voudraient pouvoir ne conduire que des véhicules de première main. Pour en revenir à Ctésiclès, il trouvait extraordinaire le fait qu’on pût boire de l’alcool dans une librairie (Philoclès a même acquis depuis peu une licence 4, grâce à quoi j’ai pu boire de la mauvaise vodka plutôt que de la mauvaise bière) ou que les différentes sections de livres fussent séparées par des travaux de menuiserie réalisés avec un art délibérément douteux par le libraire lui-même : il y voyait une espèce de concept, très nouveau, et très propre à attirer des foules de lecteurs. D’où ma remarque. Mais que n’avais-je pas dit ! Ctésiclès, à l’en croire, avait probablement lu pendant ses études de médecine plus de livres que nous tous réunis ! C’est dire l’ampleur du malentendu ! Il semblait croire sans rire que ses manuels de médecine et ses articles scientifiques entraient dans la catégorie aux contours un peu flous, il est vrai, que j’appelle livre. Mais j’ai compris à la peine qu’il avait à dissimuler sa rage que l’homme était entièrement faux, qu’il cherchait à séduire et tromper tout son monde probablement comme il faisait sa femme ; bref, qu’il était exactement de la trempe d’Hipponaüs. D’ailleurs, pendant ces trois jours, ce fut un véritable concours de b***. C’était à qui offrirait le meilleur champagne, à qui paierait la plus grosse addition, à qui avait fumé les meilleurs cigares, à qui avait la plus grande détestation du système d’imposition hellénique, des limitations de vitesse, etc., etc. Mon seul plaisir fut de voir systématiquement Hipponaüs en avoir une plus petite. Il est vrai qu’il pouvait difficilement rivaliser avec la clinique esthétique de Mont-Charles ou l’installation dans le golfe persique… Mais tout de même, je m’inquiète un peu pour ma sœur, je veux dire cette fois Délie. Cette expatriation me paraît fort suspecte et nous aurions affaire à l’un de ces pervers narcissiques dont c’est la mode, depuis la libération de la parole des femmes, que je ne serais pas surpris ! Il paraît que le souci d’isoler socialement sa femme est typique de cette pathologie. Je me suis fait une théorie sur les relations amoureuses de mes sœurs : celles-ci ne seraient attirées que par des salauds (et il n’y a là rien de très original), parce que notre père en était lui-même un sacrément. Cela me fait penser que je n’ai pas eu à subir que le concours de b*** de mes deux beaux-frères pendant trois jours. Il y a aussi qu’Hipponaüs a profité de l’occasion pour continuer avec moi son ignoble jeu de séduction, ayant compris, depuis les derniers espoirs de divorce de ma sœur, tout le bien que je pensais de lui. Le pire a été vendredi soir, quand il m’a infligé, les larmes aux yeux, la conversation entre hommes, sur le sujet de nos pères, justement, deux beaux salauds devant l’éternel. Mais la question n’était pas lequel de nous deux avait la plus grosse (je veux dire la plus grosse ordure pour géniteur), mais si nous aurions de la peine quand ceux-ci finiraient par mourir. Hipponaüs voulait me persuader que, le moment venu, je ne serais pas moins humain que lui, et que j’en pleurerais probablement, comme l’enfant qu’il n’a sans doute jamais cessé d’être quant à lui. Ce n’est pas que je m’estime moins immature qu’Hipponaüs, bien sûr, mais je me crois sincèrement d’une autre complexion, et je dis cela sans vouloir me vanter du tout : j’en suis d’ailleurs même à me demander si j’aime vraiment ma mère ; et si ce n’est pas à l’habitude que j’ai de sa présence dans ma vie, et au subtil équilibre, au mécanisme de ce train-train dont elle est un rouage, que je suis plutôt attaché, comme on préfère une marque de café, ou un serveur dans le restaurant où l’on a ses habitudes. Alors que je suis déjà très habitué à l’absence de mon père. Je ne dis pas que je ne serai pas ébranlé par une sorte d’émotion dérangeante, et même pénible et douloureuse, à la mort de mon père, mais ce sera plutôt par humanité devant le spectacle de la mort, et par égoïsme, parce que la pensée me déplaira de devoir être alors le prochain sur la liste ; mais certainement pas par piété filiale. Mon père a toujours été beaucoup plus le père de mes sœurs que de moi. Et surtout, il m’a toujours beaucoup moins considéré comme un fils que le premier garçon qui lui passait sous le nez et qui savait jouer au tennis. Ce qu’Hipponaüs a du mal à comprendre, c’est qu’avec le temps, j’en veux de moins en moins à mon père. Mais ce n’est pas grâce à l’effet réparateur du temps. C’est plutôt parce que je comprends de mieux en mieux l’homme, ayant fini par lui ressembler. Moi non plus, je ne m’encombrerais jamais d’une femme que je ne désire plus (à moins de préférer mon habitude de la personne à la personne elle-même), et je serais bien incapable ne m’imposer des enfants dont la tournure m’aurait déçu. Seulement, j’ai été plus prudent. Je n’ai pas fait d’enfant, tout bonnement. Et d’ailleurs, je ne peux même pas mettre cette heureuse précaution sur le compte de ma sagesse. C’est simplement que mon orientation m’a mieux préservé de ces sortes de désagréments. Ou bien c’est que, dès le départ, il y avait en moi une sorte de sagesse infuse, qui m’a orienté sexuellement.

 

02.IX.2024

02/09/2024, 13:58 | Lien permanent | Commentaires (0)

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