Journal du 14.XI.2023 : HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 14.XI.2023) Il y avait devant moi, ce matin, à la caisse du supermarché, une famille de pauvres gens. C’étaient des Bohémiennes : la grand-mère, la mère et deux fillettes. Elles avaient séparé leurs courses en deux tas, pour payer ces achats en deux temps. Dans le premier tas se trouvaient des denrées de première nécessité ; dans le second quelques biscuits et friandises pour les fillettes. La mère avait dans la main deux billets de dix drachmes pour le nécessaire, et la grand-mère un autre billet de dix pour le superflu. N’ayant pas assez des vingt drachmes, elles ont renoncé à un fromage et un paquet de jambon, qu’elles ont rendus à la caissière. Quant aux fillettes, elles sont reparties contentes. Ces pauvresses ne semblaient pas avoir honte de devoir exposer ainsi leur gêne aux yeux de tous. Elles m’avaient plutôt l’air d’être heureuses au contraire, alors que moi, je me tenais derrière elles comme une âme en peine, malgré le beau temps qu’il fait depuis hier, et la douceur de l’air. Mais c’est après trois semaines au moins de grisaille et de pluie presque ininterrompues. Tous les ans, vers mon anniversaire, qui tombe le 2 novembre, je fais comme entrer dans la mort. Et c’est à cause de cette saison au lavis, où tout est détrempé, où l’ombre et la nuit viennent empoisser le regard, pour mieux l’éteindre. Et pour ne rien arranger, en sortant du supermarché, il m’a semblé entendre l’un des premiers vols de grues fuyant vers le sud. Je passe l’hiver à attendre leur retour. Tant qu’elles ne sont pas revenues, je suis plus mort que vif. Mes fonctions vitales ne sont pas interrompues, mais j’ai tout de même plus l’air d’un transi sur une pierre tombale que d’un vivant sur la surface de la terre. Il n’y a pour moi que deux saisons : celle du gésir, du gémir et du transir, et celle de l’extase, du pur sortir de ces glaces où j’étais pris. Mais même l’été a pour moi quelque chose de blessant, car rien ne me semble plus cruel que le déclin des jours sitôt passé le solstice. Avec une telle complexion, je m’aperçois qu’il ne m’est pas permis de jouir de toute la part de vie qui m’a été donnée. Je ne posséderai jamais que la moitié de mon âge, ce qui, en soi, est une raison de geindre. Je tourne en rond dans cette vie comme dans un cercle vicieux.

14.XI.2023

14/11/2023, 23:32 | Lien permanent | Commentaires (0)

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