Journal du 19.III.2024 : HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 19.III.2024) Ma mère a téléphoné tout à l’heure pour me prévenir qu’Onoscélise lui avait proposé de venir à Argos avec mon père, dimanche prochain, pour déjeuner ensemble ; nouvelle dont je conçois une tristesse où je suis encore, ce soir, en écrivant ces lignes. Ce n’est pas la perspective de voir les progrès de la ruine de mon père qui m’attriste, mais la pensée qu’Hipponaüs a toutes les chances d’être là, lui aussi. Je vais devoir faire le funambule, garder l’équilibre entre la froideur des sentiments que m’inspire le mari de ma sœur et le minimum de chaleur qu’il me faudra bien montrer pour ne pas gâcher la réunion familiale. Mais ma tristesse est plus profonde. Elle n’a pas seulement pour cause la perspective de devoir être faux, ni même le danger que court ma sœur avec Hipponaüs. Si Junie est en danger, c’est parce qu’elle ose, c’est parce qu’elle prend des risques, parce qu’elle est beaucoup plus engagée dans la vie que je ne saurais l’être. Ce qui m’attriste, c’est la comparaison de nos deux vies, qui s’impose plus vivement à mon esprit ces temps-ci, à cause des dernières exactions d’Hipponaüs. Dans les repas de famille, Junie a toujours été celle qui est accompagnée ; moi, je suis toujours seul. Elle sait éprouver de grandes joies et de grandes peines. Elle peut se faire incroyablement malmener dans l’espoir de réconciliations aussi euphoriques qu’éphémères. Elle se laisse abuser pour connaître l’énorme soulagement d’être détrompée. Elle se laisse entamer par les duretés du monde, qui sont bien souvent des hommes, pour éprouver la tendreté de son cœur, pour en prévenir l’induration, pour ne pas l’avoir de pierre, comme est le mien. Elle est capable d’aimer un Hipponaüs malgré sa grossièreté, malgré sa vulgarité, malgré sa ridicule ambition de grand complexé, malgré son souci démesuré du regard des autres, comme si son regard à elle pouvait voir au-delà de ce qu’il y a vraiment à voir et trouver autre chose qu’Hipponaüs. Moi, je ne sais à peu près rien faire de tout cela. Pire ! Je me demande si je n’ai pas été le tout premier de ces hommes en qui Junie a su trouver plus qu’il n’y avait vraiment, moi qui l’ai tant malmenée durant mes jeux d’enfant, moi qu’elle idolâtre encore…

 

19.III.2024

19/03/2024, 23:00 | Lien permanent | Commentaires (0)

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