Journal du 14.I.2024 : HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 14.I.2024) Dans les douzains LIII et LIV du Testament d’Attis, je parlais déjà du secours des teen movies et autres coming-of-age stories pour m’aider à traverser les périodes de mélancolie :

 

                               LIII

Parce qu’au plus profond j’avais ce vague à l’âme,

C’était non seulement mon précaire calame

Mais les livres aussi qui me tombaient des mains.

Pendant des jours entiers, comme un mort sous la lame,

Je laissais dans son lit mon pauvre corps humain,

Ne faisant plus que tout remettre au lendemain.

Pour occuper un peu ma paresse maligne,

Je regardais parfois des vidéos en ligne.

J’ai toujours consolé dans l’œuvre de fiction,

Surtout, le plus souvent, de facture bénigne,

Le lamentable effet de la malédiction

Qui me refait toujours sombrer dans l’affliction.

 

                               LIV

Je prise dans ces films les jeunes personnages

Malmenés en leurs jours. J’aime qu’ils soient d’un âge

Où l’âme se découvre et s’éveillent les sens,

Comme lorsque je fus livré à mon carnage,

Il y a si longtemps, pendant l’adolescence,

Et que fut une mort ma seconde naissance.

Il me semble revivre, en voyant ces histoires,

Les heures de jadis, encore aléatoires,

Où tout était possible et, dans cette anamnèse,

Espérer de nouveau trouver l’échappatoire.

Durant cette période, un film, titré Genèse* et **,

Plus qu’un autre a produit cette étrange synthèse.

 

Pour que le baume ait quelque efficacité, il est essentiel que les personnages soient encore de jeunes gens, comme le Guillaume de Genèse. C’est parce que les accès de mélancolie sont causés par cet enfant qui croupit dans les eaux noires du cul de basse-fosse dans lequel nos efforts pour devenir des hommes l’ont enfermé. Toutes les blessures que nous nous faisons dans la vie nous renvoient à la première, à celle de notre première mort, quand il nous a fallu tuer l’enfant que nous étions pour devenir des adultes. L’adolescence est cet âge terrible où pèse encore sur chacun le danger de devenir poète, c’est-à-dire de rester un enfant dans le corps d’un adulte. La plupart des hommes sont des massacreurs sans scrupules, qui s’épanouissent sur le charnier de leurs premières années. Quelques autres sont incommodés par l’odeur ; ou plutôt, ils en sont entêtés, enivrés ; la tête leur tourne, très au sens propre : ils regardent toujours en arrière, en trébuchent, tombent parfois, ou s’arrêtent carrément ; certains, paraît-il, deviennent véritablement des poètes. Nous sommes tous, même les massacreurs, hantés par cet enfant plus ou moins mort, plus ou moins vif, selon que nous avons plus ou moins de remords après nos massacres ou de nostalgie pour le pays dont nous nous sommes exilés, qui était une époque, un âge. Quand je regarde ces films, ces séries, ce n’est pas moi qui suis derrière mes yeux, c’est l’enfant, c’est Attis, émasculé, saignant encore, toujours vivant. Il se reconnaît dans les personnages qu’il aperçoit sur l’écran : il se voit vivre encore. — En réalité, le véritable malheur n’est pas de toujours retomber dans l’affliction, mais de s’en consoler avec des produits culturels conçus pour aliéner les hommes. Moi aussi, je tombe dans ce piège.

 

* Note du Testament d’Attis :

De Philippe Lesage, un auteur québécois.

Dans ce film, Cupidon tire de son carquois

Et plante dans les cœurs de trois tout jeunes gens

Les flèches d’un amour fatal dès qu’émergeant.

** De tous les mauvais vers qu’il m’ait été donné d’écrire, celui-ci est probablement l’un des pires.

14.I.2024

14/01/2024, 19:25 | Lien permanent | Commentaires (0)

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