(Journal du 06.V.2024) Il est arrivé quelque chose d’extraordinaire. Ou plutôt me suis-je aperçu tout à l’heure d’un fait qui me paraît absolument miraculeux. Pourtant, je ne pensais pas faire autre chose, avant-hier, que plaisanter à demi quand j’écrivais que c’est assez d’un lecteur pour qu’une voix soit entendue. Voici : Il y a un peu plus d’un mois, pour échapper aux assauts de quelques-unes de mes collègues du dicastère, qui voulaient absolument me voir m’inscrire à un petit concours de la fonction publique, je n’ai pas eu d’autre choix que de céder à leur insistance importune. Malheureusement pour moi, la publication en ligne, il y a peu, de mon admissibilité à ce concours a causé une espèce de liesse dans tout l’étage du Catégore. Si mes collègues avaient été des hommes, elles m’auraient probablement porté sur leurs épaules ! À cause de manifestations si bruyantes (et qui n’étaient pas sans me faire un peu honte, car c’était vraiment beaucoup de bruit pour presque rien), la nouvelle de cette première réussite est arrivée aux oreilles de mon directeur, le beau Calliste, qui a décidé, pour m’entraîner, de me faire passer une simulation d’oral du concours. Me voici donc réduit à faire la chose la plus bête du monde : préparer l’oral d’un concours dont je n’ai absolument que faire, et au bénéfice duquel je finirai probablement par renoncer, en cas de succès, si le lieu de mon affectation ne me convient pas, ce qui a toutes les chances d’arriver, même s’il s’agit d’un concours ‘‘déconcentré’’. Mais je voudrais pouvoir tenir contenance devant le beau Calliste… Je faisais donc tout à l’heure une rapide recherche en ligne sur un sujet particulier ayant un rapport avec mon concours quand je suis tombé sur la page d’un blogue tenu justement par Calliste, dont l’histoire est la marotte, traitant très précisément de la matière qui m’occupait. Quelle coïncidence, me suis-je dit, même s’il n’est pas si surprenant qu’un fonctionnaire passionné d’histoire s’intéresse à l’histoire de la fonction publique. Mais que je tombasse, dès les premières propositions de Google, sur une page du blogue de Calliste traitant exactement de la question qui m’avait traversé l’esprit, ça m’a semblé frappant. Comme je ne suis tout de même pas si captivé qu’on pourrait le croire par l’histoire des fonctionnaires, ce hasard qui n’en est pas vraiment un m’a détourné presque aussitôt de la question qui m’avait traversé l’esprit en me donnant l’idée de faire une nouvelle recherche en ligne, mais à partir de mon nom cette fois-ci (mon véritable nom), comme il m’arrive parfois, à peu près tous les trois mois. Passée la satisfaction de constater que j’étais de moins en moins ‘‘référencé’’ dans l’immensité webmatique, je me suis aperçu que figurait sur la première page de réponses de Google un nouveau lien, menant à l’article d’un blogue où il était question de moi et que je n’avais jamais vu jusqu’alors. Je l’ouvre : l’URL semble indiquer que l’article, intitulé « Ballade de mes petites amoureuses, par Olivier *** (1) », a été posté en octobre 2023. L’auteur du blogue a retrouvé dans une anthologie ce qui fut sans doute la première ballade que j’écrivis et qui figure d’ailleurs dans Le Testament d’Attis, mais sous le titre Vbi sunt (j’ai dit avant-hier que se trouvaient dans le Testament certains de mes plus vieux poèmes.) Mais dans cette anthologie, L’Univers sensuel, sexuel et sentimental de la Fillette impubère, au travers de l’Histoire, de l’Ethnographie et de la Littérature, Tome I, Interactions entre enfants (2), (un titre parfaitement trouvé pour m’attirer de nouveaux ennuis !), l’auteur de la ballade est présenté comme anonyme, et son « [t]exte récupéré vers 2004 du site : http://perso.wanadoo.fr/oliviermb/journal.htm », qui était à l’époque le site personnel sur lequel je publiais ce journal ainsi que quelques vers et autres petits textes, mais qui n’est plus en ligne désormais. Pourtant, le blogueur qui a rendu son nom à l’auteur de la ballade a retrouvé quelques vestiges de mon antique ‘‘page perso’’ (parmi lesquels mon nom se trouvait donc) en utilisant la Wayback Machine d’Internet Archive, ce qui me vaut désormais sur son blogue cette notice flatteusement actualisée : « Voici un poème d’amour presque introuvable, écrit par un inconnu, publié sur un blog obscur dont il ne reste de traces que sur la Wayback Machine. » Si ce n’est pas le début de la gloire ! Mais quelle ironie, tout de même : quelqu’un a pensé à me rendre mon nom exactement à l’époque où je décidais (en 2023) d’y renoncer pour publier ce journal ou mes vers ! Il était écrit que tous les vents seraient contraires au cap que je voudrais donner à ma carrière littéraire : La création d’un compte Facebook sous mon nom de plume m’a fait passer de plus de 240 ‘‘amis’’ à 80 seulement (par où l’on voit que je ne manque vraiment pas d’ambition en me fixant pour objectif de donner au moins un lecteur aux Sonnets de guerre et quatorzains de paix !) ; et je m’aperçois à présent que quelque chose semble se tramer sur la toile pour me faire regretter d’avoir renié mon nom, pour me rappeler que ce nom, qui est le vrai, survit malgré mes efforts pour le faire oublier. Mais pour en revenir à l’idée qu’il suffit d’un lecteur au poète pour que sa voix soit entendue, il me semble que l’anecdote que je viens de rapporter me donne raison. J’ai écrit une maladroite première ballade il y a des lustres. Je l’ai publiée en ligne au début des années deux mille. Quelqu’un l’a récoltée vers 2004 pour une anthologie au thème un peu embarrassant. Un autre l’a lue dans cette anthologie, vraisemblablement en 2023, puis a fait quelques recherches pour retrouver mon nom, qu’il révèle sur son blogue. Ce blogue compte probablement quelques lecteurs, dont un s’est peut-être intéressé à son tour à ma modeste ballade. Et ainsi de suite. Deux lecteurs au moins en un peu plus de vingt ans, c’est le beau succès d’estime dont je parlais avant-hier ! Peut-être même trois lecteurs déjà, et c’est un véritable triomphe, mais dont je n’aurais pas connaissance, une sorte de triomphe de Schrödinger. Quoi qu’il en soit, que j’aie deux, dix, cent ou mille lecteurs, quelle différence cela fait-il ? Presqu’aucune pour le lecteur, même si, sans doute, ce n’est pas tout à fait la même aventure, de son point de vue, de lire un auteur fameux, c’est-à-dire d’emprunter un chemin balisé par la réputation de celui qui l’a tracé, et un parfait inconnu, qui est une espèce de forêt vierge : j’imagine que les préventions du lecteur sont un peu plus favorables au premier qu’au second, à moins que ce ne soit l’inverse, selon l’idée qu’il se fait de l’honnêteté du commerce éditorial. Peut-être aussi le lecteur risque-t-il moins d’être distrait d’une authentique exploration de pages nouvelles par les idées fausses qu’il peut lui arriver de se faire sur un auteur connu, la notoriété n’étant bien souvent qu’une des formes de la méconnaissance. Dans tous les cas, le lecteur a dans les mains le livre d’un seul homme : la lecture est pour lui ce moment où il se retrouve seul pour écouter la voix de cet homme, insinuée dans sa propre voix intérieure. Le nombre n’a rien à voir avec cela. Et de mon point de vue, cela ne change rien non plus. Que j’écrive ou que je n’écrive pas, je le fais toujours seul, chez moi, en présence de la chienne Psaltérion uniquement, sans jamais penser à un lecteur, ni à deux, ni à dix, ou si je le fais, ce n’est qu’à ce lecteur idéal, que j’imagine être si accordé à mes phrases qu’il serait superflu de songer à la réception qu’il pourrait en avoir quand je suis occupé à les faire. De mon point de vue, mon seul lecteur, c’est moi.
(1) Ce n’est pas que je veuille faire un mystère absolu de mon véritable nom (et d’ailleurs, pour un helléniste, mon nom de plume est transparent), mais ayant déjà perdu une fois mon travail à cause de ce qu’il a pu m’arriver d’écrire, je préfère rester discret, relativement discret, du moins, car tous les éléments sont dans cette entrée de mon journal pour retrouver en ligne ma véritable identité.
(2) Cette anthologie semble n’avoir d’existence qu’en ligne, sous la forme d’un PDF de plus de mille pages, tout fait de copiés-collés et sans aucune unité typographique.
06.V.2024
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