(11.V.2024) En proposant Sonnets de guerre et quatorzains de paix à si bas prix, je ne m’étais pas avisé (mais je suis en train de lire La Destruction des Européens d’Europe, où Renaud Camus aborde de telles questions) que mes considérations pour me justifier de ce prix étaient très de l’époque, très d’un petit-bourgeois du XXIe siècle. Imaginer la collection Canicula pour accueillir de tout petits textes, admettons, mais à de tout petits prix, pourquoi donc ? Qu’est-ce qui me fait croire qu’un éventuel lecteur, dont la conjecture hautement fantaisiste suppose à ce dernier une tournure d’esprit pour le moins anachronique, appartiendrait nécessairement à ce type humain « très singulièrement comptable », caractéristique de notre temps, et dont « on dirait toujours qu’il a tout calculé, au centime près* » ? Sans doute ai-je pensé à un lecteur qui me ressemblerait, c’est-à-dire qui serait pauvre comme moi. Ce n’est pas que je regarde à la dépense, au contraire, mais arrive toujours ce moment dans le mois où, pour continuer à me nourrir, je dois suspendre tous ces achats superflus mais qui me paraissent essentiels pour que la vie me soit de quelque agrément : livres, vêtements, chemises surtout (comme par hasard, mais ce n’en est pas un !), que j’amasse à ne plus savoir où les ranger, pulls marins, chaussures, qui sont plutôt, avec le retour des beaux jours, horresco referens, des baskets, et produits cosmétiques en tout genre. (Tout cela est très futile, mais je me donne pour excuse d’avoir été élevé par des femmes uniquement, dont j’ai gardé quelques séquelles : elles ont fait de moi un homme absolument de son temps, c’est-à-dire du leur, malgré que j’en aie, dévoré de désir (à petites bouchées intermittentes, un peu comme quelqu’un qui grignote entre les repas (autre grand mal du siècle)) pour toutes ces choses qui s’offrent à ma consommation.) Georges de La Fuly m’a fait remarquer l’autre jour qu’avec un prix si bas, les frais de port (3 ₯) imposés aux plateformes de vente comme Amazon pour tout achat de livres neufs d’une valeur inférieure à 35 ₯ reviendraient pour le lecteur à près du tiers du coût total de l’opuscule, ce qui, en effet, peut être un peu rebutant pour certains. On a beaucoup présenté ces 3 ₯ comme une mesure en faveur des libraires. J’y vois surtout une mesure absolument défavorable aux écrivains sans éditeurs. On pourrait m’objecter qu’un écrivassier ne devient véritablement écrivain qu’après avoir été distingué par un éditeur. Sans doute cela fut-il vrai, mais en des temps, désormais révolus, où le complexe éditorial n’était pas encore cet ennemi déclaré des livres, de leurs auteurs et des lecteurs qu’il me paraît être devenu. (Je ne parle pas de mon cas, bien sûr, et je ne voudrais pas qu’on croie que je me prends pour l’un de ces auteurs incompris, injustement laissés dans l’ombre par un siècle obscur : je tiens plutôt de l’écrivain médiocre et qui s’entête.) De toute façon, s’il est un objet dont le prix, nécessairement arbitraire, ne correspond à aucune réalité objective et n’est la traduction numéraire d’aucune valeur exactement déterminable, c’est bien le livre ! Après tout, les œuvres complètes du dieu des mahométans, dont le premier copiste ne savait ni lire ni écrire, peuvent s’acquérir pour le même prix qu’un livre de recettes sur les mille et une façons d’accommoder le porc.
* Renaud Camus, La Destruction des Européens d’Europe, Éditions du Château, 2024, p. 155.
11.V.2024
Les commentaires sont fermés.