Journal 14.VI.2024 : HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 14.VI.2024) Je suis effrayé de voir à quel point, dans le rôle de Jacques de Bascher (Becoming Karl Lagerfeld), le beau Théodore Pellerin peut ressembler à l’Augustin de mes jeunes années. Sa nudité est de la même blancheur. Ses cheveux sont du même noir et semblent avoir la même texture. Même finesse de corps. Mêmes flancs creux. Même plat des fesses. Même pilosité des cuisses. Même légère toison, toute soyeuse, sur la poitrine. Je me demande si l’acteur peut avoir aussi la même b***. Pour une fois, si je devais dire la vérité, dans sa grossière crudité, j’écrirais tout simplement que celle d’Augustin est ce que j’ai le plus révéré dans ma vie. Peut-être même n’ai-je jamais rien aimé qu’elle de toute mon existence. Aucune lecture ne m’a laissé de souvenir plus ému qu’elle ne fit. Jamais un écrivain n’a pu m’inspirer la même dévotion. Jamais je n’ai pris la plume, même pour noter un vers venu soudain tout fait à mon esprit et menaçant de s’évaporer aussi vite, avec la même fièvre qui me venait au moment de prendre ce style battant d’un autre sang que le mien, tellement plus chaud, tellement plus vif, et qui m’attendait sur le ventre d’Augustin comme sur une page blanche. Celle d’aucun autre garçon, même très beau, n’a jamais soutenu la comparaison. Car, bien sûr, c’est parce qu’elle était au centre de ce corps admirable, aux longs bras, aux longs doigts, aux longs cils, et parce qu’elle semblait le commander entièrement, le faisant gémir ou soupirer, lui faisant tourner l’œil ou battre la paupière, selon la façon dont on la maniait ; c’est parce qu’elle avait été façonnée depuis l’enfance par les propres mains d’Augustin ; c’est parce qu’elle était devenue l’objet de tous les caprices de ce prince ithyphalle une fois rendu dans son bel âge, que la sienne était pour moi si obsédante, si faite, en son absence, pour donner à ma pensée le plus parfait sujet à méditer, et pour devenir, quand nous étions ensemble, le seul objet de mon étude. Il est probable que dans mes derniers instants, si j’ai encore un peu de conscience, je penserai à elle pour me soutenir dans mon ultime voyage. Son souvenir éclatant sera mon bâton de vieillesse. Il y aura dans cette pensée la même chaleur réconfortante que lorsque la main d’Augustin venait sur ma nuque, et qu’il me demandait, dans les rues d’Acaris, parce que j’avais laissé s’exprimer mon angoisse ou ma mauvaise humeur : « Qu’est-ce qui ne va pas, mon Antire ? » Et j’allais mieux. Beaucoup de choses ne sont pas allées, depuis lors… Nous nous sommes perdus de vue, pour commencer, Augustin et moi. Il a même fait jusqu’à perdre son véritable nom dans ce journal où tous les noms sont faux, et ce m’est un crève-cœur que de ne pouvoir rendre à ce souvenir incomparable son simple prénom, qui était tout ce qu’il y avait de commun, mais qui me semblait surnaturel et dont les trois syllabes, aussitôt dites, me transportaient dans le ravissement le plus stupide. J’étais jaloux que d’autres que moi pussent les prononcer ; et j’étais indigné qu’ils le fissent avec si peu de révérence. Je sais, grâce aux photos sur Internet, que ce prince de ma jeunesse s’est mis à ressembler au roi d’Espagne. Il est toujours beau, bien sûr, mais ce n’est plus la même chose, même si je suis sûr que, sous ses vêtements, sa b*** est restée la même, à moins d’un accident (pensée affreuse !), comme il a dû arriver, par exemple, à l’une de mes idulles, dont la b*** était devenue absolument difforme la dernière fois que le porteur de cette tare inattendue est venu chez moi. Cela ne devait pas trop affecter nos rapports, en principe, puisque mon hôte trouvait son plaisir à faire entrer les gens par la porte de service, et, par courtoisie, je lui ai rendu le service qu’il était venu chercher ; mais, en réalité, pendant tout le temps que je tâchais à le besogner, j’étais intérieurement horrifié par la pensée de la difformité qu’il m’avait été donné de voir, et je trouvais mon besogné vraiment aussi gonflé que son membre bubonique de m’avoir imposé pareille vision d’horreur. Toute sa personne m’en semblait devenue monstrueuse. J’étais impatient d’en finir, pour pouvoir refermer définitivement la porte sur lui. Je l’ai rayé de mes listes. Il m’est une nouvelle persona non grata. Si quelqu’un devait me dire un jour que la même sorte d’accident était arrivée à Augustin, je crois qu’il m’annoncerait le plus grand malheur qui, à mes yeux, pourrait survenir dans le monde. Un monde sans ce charme caché, sans cette baguette magique, sans cette pure fascination, serait un monde entièrement désenchanté, affreusement défiguré. C’est le même Théodore Pellerin qui joue le rôle de Guillaume dans Genèse, ce film dont il est tant, dont il est trop question dans Le Testament d’Attis. Plus le temps passe, et plus ce livre me semble mal fichu, à cause de la trop grande place donnée au film de Philippe Lesage, par exemple, et qui probablement, n’en aurait pas pris autant si, je m’en avise, Théodore Pellerin n’avait pas eu cette ressemblance avec Augustin. Je commence tout juste à travailler à la mise en page du Testament pour sa publication et m’aperçois que je ne pourrai probablement pas me contenter de Word, comme j’avais fait avec Sonnets de guerre et quatorzains de paix, pour mener à bien cette tâche, notamment à cause des notes de bas de pages versifiées, que je voudrais pouvoir présenter sur deux colonnes, comme dans le tapuscrit. C’est possible avec Word, mais il ne me semble pas que je puisse choisir la taille des colonnes (je veux dire dans les bas de page), ce qui est parfois un problème, à cause de la longueur de tel ou tel vers, qui ne tient pas sur une seule ligne de la colonne. Sur une page de format A4, on s’en tire aisément, par de petits artifices, en jouant sur la taille des marges de la page. Mais sur une page de livre, tout devient plus étroit, et donc plus difficile à résoudre. Je serais très fâché d’avoir à rejeter les notes à la fin de l’ouvrage… C’est pourquoi je fonde de grands espoirs sur le logiciel InDesign. Seulement, il y a si longtemps que je ne l’ai pas pratiqué, et même, je m’y sentais si peu à l’aise, à l’époque où j’avais à m’en servir (d’ailleurs bien rarement), que je ne suis probablement pas sorti de l’auberge. Et d’ailleurs, je me demande vraiment à quoi bon me donner tant de peine pour un livre qui n’est pas sans me faire un peu honte, désormais, et qui a toutes les chances d’avoir le même succès que Sonnets de guerre et quatorzains de paix, c’est-à-dire aucun. Tout devient tellement compliqué quand on se donne des projets qui, nécessairement, impliquent de viser un certain succès (concours, livres) et donc de risquer l’échec. Alors qu’on pourrait ne rien faire, tout simplement…

 

Illustration : Léger aperçu de la nudité de Théodore Pellerin interprétant le rôle de Jacques de Bascher dans Becoming Karl Lagerfeld.

 

14.VI.2024

14/06/2024, 23:44 | Lien permanent | Commentaires (0)

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