HORTVS ADONIDIS

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(Journal du 12.XI.2023) Je suis allé au rassemblement contre l’antisémitisme organisé cette après-midi devant le nomarchéion d’Argos. C’est la première fois de ma vie que je participe à une manifestation, si du moins je ne compte pas le jour, il y a tant d’années, où je fus à la gaypride d’Acaris avec Augustin (ou bien il me faudrait mentionner également tous les carnavals auxquels il a pu m’arriver de participer dans mon enfance. Je me souviens que, pour cette gaypride, l’un des amis d’Augustin s’était vêtu d’une robe de mariée. Chaussé de patins à roulettes, il s’amusait à me tourner autour en jouant d’un sifflet qu’il avait au cou, comme si nous nous fussions trouvés dans une boîte de nuit, où les sifflets étaient fort à la mode en ce temps-là. À cause de ce garçon, mes premiers pas dans la fierté homosexuelle furent pour moi presque aussi traumatisants que ceux que je fis dans un bar gay, où je n’avais pas eu le temps de parvenir au comptoir que la main d’un inconnu me tâtait déjà le croupion, exactement comme on aurait fait d’un melon vendu au marché d’Argos ! Je crois bien que cette main fut la première dont il m’arriva de subir la violence, je veux dire en dehors du collège, évidemment ! Et encore : au collège, on se contentait de me bousculer en m’insultant !) Ce n’est pas que je sois sans opinions politiques, mais ayant toujours détesté les foules, je préfère les éviter, d’où ma faible expérience des défilés ou des rassemblements. Or il y avait foule aujourd’hui, pour mon malheur (mais pour le succès de la manifestation !) Ou du moins, je crois qu’il y avait foule, car n’ayant jamais participé à un tel rassemblement, j’ignore si ce qui me paraissait en être une l’était bien pour une ville comme Argos ou pour un événement de cette nature. Mais si j’en crois les quelques commentaires satisfaits entendus autour de moi, c’était bien un succès. Bien que je tinsse absolument à participer à cet événement exceptionnel, je ne me sentais vraiment pas dans mon élément, au point que je n’arrivais pas à me concentrer sur les discours des élus qui ont pris la parole. Le hasard a voulu que j’aie commencé à m’initier à l’hébreu biblique environ quinze jours avant les massacres du 7 octobre. Depuis lors, je considère mon étude comme une sorte d’hommage. En traçant sur mes cahiers les lettres hébraïques, il me semble faire comme un geste en direction des Juifs, geste discret, et bien laborieux pour l’instant, mais sincère et sans contrepartie, complètement désintéressé (contrairement à beaucoup des prises de positions publiques actuelles, qui donnent lieu à toutes sortes de règlements de comptes.) Ce geste n’est fait que pour moi sans doute, dans la solitude de mon étude, et son sens m’échappe en grande partie (je peine d’ailleurs à formuler ce que je cherche à dire), mais du moins revient-il à faire quelque chose, plutôt que rien… La méthode que j’utilise opte pour la prononciation de l’hébreu moderne. Je me dis ainsi que je prononce également un peu de la langue ressuscitée par Éliézer Ben-Yéhoudah en même temps que je m’initie à ce qui fut en quelque sorte son latin. J’ai lu récemment les courts mémoires de ce dernier, ainsi que ceux de son fils*, Ithamar Ben-Avi, ‘‘le premier enfant hébreu’’, le premier de l’époque moderne dont les babils ont été de l’hébreu vivant. Je ne connais rien de plus miraculeux, de plus bouleversant, de plus admirable que la renaissance de l’hébreu presque par la volonté d’un seul homme, Ben-Yéhoudah, qui réussit (au prix de combien de sacrifices !) à faire la preuve, en engendrant un fils, mais en en sacrifiant presque l’enfance à cette cause à laquelle personne ne croyait, tel un nouvel Abraham, que l’hébreu pouvait redevenir une langue vivante dès le berceau. Même si ce sont des Juifs qui furent le plus hostiles à sa résurrection, à la fin du XIXe siècle, cette langue, du moins, personne ne vient la leur contester !

 

* La partie des mémoires d’Ithamar Ben-Avi concernant la résurrection de l’hébreu. Cf. La Renaissance de l’hébreu. Éliézer Ben-Yéhoudah, Le Rêve traversé et Ithamar Ben-Avi, Mémoires du premier enfant hébreu, trad. Gérard Haddad, Yvan Haddad et Catherine Neuve Église, Desclée de Brouwer, coll. « Midrash », 1998.

12.XI.2023

12/11/2023, 23:35 | Lien permanent | Commentaires (0)

(Journal du 11.XI.2023) Il y a trois jours que je n’ai plus de fibre internet. Cela ne signifie pas que je ne peux plus me connecter au réseau, car j’y ai toujours accès sur mon téléphone portable. Je peux même relier ce dernier à mon ordinateur pour naviguer plus confortablement. Mais je ressens tout de même cette absence de fibre comme une gêne constante, modifiant toutes sortes de petites habitudes et nécessitant autant de menues adaptations formidablement irritantes, auxquelles s’ajoute l’inquiétude de ne pas savoir quand la situation sera rétablie (l’opérateur étant incapable de me le dire : mais la panne semble être assez importante ; peut-être est-elle liée aux grands travaux de voirie qui ont lieu à deux ou trois rues d’ici ou bien à quelque inondation survenue ailleurs en Argolide, qu’en sais-je…) Je vérifie à cette occasion ce que je soupçonnais depuis longtemps déjà, c’est à savoir combien je suis devenu dépendant de cet outil que je sers plus qu’il ne me sert. Non seulement mes séances d’écriture, mais même de lecture sont troublées par cette difficulté de connexion au réseau, parce que je ne peux plus consulter aussi promptement qu’à mon habitude certains des dictionnaires en ligne qui me sont devenus indispensables. Pourtant je fus longtemps réfractaire à ces ‘‘nouvelles technologies’’ que ne sont plus depuis longtemps le téléphone portable et Internet. J’ai même dit « l’Internet » jusqu’à trente ans passés, comme si j’en avais eu quatre-vingts (mais il est vrai que nous n’avons jamais vraiment coïncidé, mon âge et moi) ! Je me souviens que l’un de mes professeurs de grec à l’université nous avait parlé, à mes camarades et moi, du Thesaurus Linguae Graecae, cette édition, sur CD-ROM à l’époque (je parle des années quatre-vingt-dix), de l’ensemble des textes grecs écrits depuis Homère jusqu’à la chute de Constantinople. Dans mon souvenir, la position de notre professeur devant ce projet éditorial était ambiguë. Le principe de la numérisation semblait l’enthousiasmer. Mais je crois me souvenir qu’il se désolait de ce que l’Europe se désintéressât alors complètement d’un tel projet, au point, disait-il (si du moins ma mémoire ne m’abuse, car tout cela est fort ancien), que les éditeurs scientifiques du vieux continent avaient quasi livré tout leur matériel aux Américains pour leur collecte de textes, perdant ainsi l’occasion historique, selon mon professeur, d’élaborer un projet éditorial équivalent en Europe. Cette imprévoyance européenne me paraît tellement énorme (quoiqu’en même temps très prévisible) que j’ai quelque mal à prêter foi à mon souvenir… Mais là n’est pas mon propos. Le plus extraordinaire, dans cette anecdote, est que ni mes camarades ni moi, qui sortions pourtant à peine de l’adolescence, ne comprenions ce qu’un tel projet pouvait avoir d’authentiquement moderne (et je ne le dis pas ici péjorativement). Bien sûr, l’espèce de pillage auquel se livrait la Californie nous scandalisait, mais beaucoup moins que la dimension dérisoire à nos yeux, et complètement extravagante à la fois, du projet éditorial en soi. Quoi ? des philologues, qui, en principe, sont gens de quelque sérieux, reconnaissaient au CD-ROM, qui n’était pour nous qu’un gadget aussi ridicule que ces téléphones portatifs et autres Tatoo, autant de dignité qu’au livre ? Même Augustin, qui fut l’un des premiers à posséder un portable, tant il avait la passion du téléphone (au point que j’ai cru qu’il allait me casser le nez, un jour que, pour une raison que j’ai oubliée, comme nous étions en train de nous battre violemment chez lui, demi-nus (à cause du plein été, qui nous avait probablement tourné les têtes), l’idée m’est venue de fracasser son téléphone fixe contre un mur : Augustin s’est alors jeté sur moi, m’a fait tomber sur son lit, réussissant à m’immobiliser de ses jambes et d’un bras, levant l’autre au-dessus de mon visage, le poing refermé pour l’abattre sur ma face, mais s’immobilisant soudain, parvenant à se retenir inexplicablement, et me donnant ainsi l’une des plus mémorables preuves d’amitié qui fût. Je me suis alors retrouvé arrosé de larmes et de sang : Augustin, pleurant de rage, s’était mordu la lèvre pour donner à sa fureur quelque chose à déchirer. Ce doit être la seule fois de ma vie que je me suis vraiment battu, sans grand succès, comme à mon habitude) ; eh bien ! même Augustin n’a pas compris l’absolue nécessité de ce Thesaurus Linguae Graecae. Il est vrai que l’accentuation de ses thèmes grecs l’indifférait au plus haut point (ce qui me scandalisait, car j’étais l’auteur de ces thèmes qu’il recopiait si mal !), aussi ne pouvait-il se sentir concerné que de très loin par la numérisation du corpus ! Notre professeur avait trente ou quarante ans de plus que nous, mais c’était nous, la jeunesse, qui avions bien cinquante ans de retard : nous n’étions déjà que de splendides vieux cons ! Sans doute, il est vrai, le choix des lettres classiques que nous avions fait pour nos études était-il un indice du peu de prédispositions que nous avions pour la farce moderne. Mais ce que je dis là est peut-être injuste pour beaucoup de mes camarades, qui n’avaient probablement rien choisi du tout : car la plupart étaient des filles de familles acaridiennes, à socquettes blanches et jupes écossaises, à qui l’on faisait faire du grec et du latin en attendant de les marier. Mais même si j’étais alors un indéniable con rétrograde (c’était pourtant avant mon retournement dextrogyre), même si je ne voyais pas plus loin que le bout de mon nez, du moins sur la question du numérique appliqué aux lettres classiques (mais sur bien d’autres sujets également, sur à peu près tous à la vérité), je crois que j’avais raison dans le fond : la numérisation en cours ne pouvait rien nous valoir de bon. J’ai cru me convertir librement, j’ai cru faire le choix des outils numériques, quoique sur le tard. Je fus en réalité contraint de m’agenouiller, de me soumettre, en recourant à leur aide corruptrice. Le retard que j’ai dit était une résistance en réalité, mais qui n’a pas tenu. Pour dire à quel point j’ai été dénaturé par ces technologies, il me faudrait procéder à une introspection douloureuse et à laquelle je sens presque tout mon corps se refuser, comme lors de certaines manifestations du refoulement (preuve de la profonde incorporation du numérique à mon être, qu’il semble avoir colonisé jusqu’aux régions les plus enfouies de l’inconscient.) Sans doute n’aurais-je jamais écrit (même ce journal) sans l’aide du traitement de texte. Sans le soutien de l’ordinateur, je n’aurais jamais pu élaborer ces phrases à rallonge, alambiquées même, mais qui sont ma manière, qui sont un reflet syntaxique de mes complications labyrinthiques, qui sont mon style, pourrais-je dire finalement, si le style est l’homme même. Car avant mon utilisation de cette technologie, les feuilles de papier, à force de ratures, d’incises, de repentir, devenaient complètement illisibles. Je m’y perdais littéralement, n’arrivant à rien. C’était une grande souffrance. Mais cette douleur disait une vérité que je n’aurai donc jamais voulu entendre : c’est que je n’étais pas fait pour écrire, parce que je ne le savais pas, tout simplement. Et ce n’est que par artifice que j’y parviens désormais. Mais quel scandale, tout de même, que cette singerie d’un homme qui, ne sachant pas écrire, écrit malgré tout ! Il y a entre l’écrivain et moi la même distance qu’entre l’agriculteur et le paysan d’autrefois. Antire, tu n’es qu’un imposteur, et même un destructeur, exactement comme l’agriculteur d’aujourd’hui ! Or sans cette imposture, peut-être serais-je devenu davantage un poète. Mes vers s’écrivent encore entièrement ‘‘à la main’’, sur la feuille. Les sillons qu’ils y forment sont tracés à la seule force de l’homme, comme autrefois ceux du paysan étaient creusés à la seule force des bêtes. Le mètre est une borne qui m’empêche de me perdre tout à fait dans mes repentirs. La feuille se noircit, mais reste lisible. Si nombreux que soient mes détours, mes ratures, mes hésitations, mes repentirs, il n’y a toujours qu’un certain nombre de syllabes à écrire, ni plus, ni moins. Je sais donc toujours où je vais, même quand je n’en ai pas la moindre idée. Et puis il y a la rime, la merveilleuse rime, qui me sert de guide, comme un fil d’Ariane. Et pourtant, à cause de l’ordinateur, je me partage (je me disperse !) entre ces vers, traditionnels, et cette prose quasi mécanisée ! J’aurais été si différent sans l’ordinateur ! Je me serais resté tellement plus fidèle, me contentant probablement du clos d’une page, comme la bienheureuse vache dans son pré ! Mais même cette vache n’existe plus ! Deux choses ont ruiné ma vie : Internet et la fréquentation des hommes (mais Internet n’est qu’une surfréquentation des hommes, comme on dit la surproduction ou la surexploitation), de ces hommes dont la parlure, en devenant irrésistiblement mienne, a fini par entièrement dénaturer ma propre langue, à tel point que j’écris ces lignes avec aussi peu de spontanéité, avec aussi peu de naturel et d’aisance que si j’étais en train de composer l’un de mes thèmes grecs d’autrefois. Hélas ! Je suis si peu cet écrivain qui n’existe plus que je ne saurais dire à quel point me manque l’homme que je n’ai pas pu devenir, celui que j’aurais été dans un monde ou ni l’ordinateur ni l’Internet n’auraient fait à nos âmes ce qu’à nos amours le Sida.

11.XI.2023

11/11/2023, 23:32 | Lien permanent | Commentaires (0)

(Journal du 03.XI.2023) Contrairement à don Esteban, Tristan continue chaque année à prendre de mes nouvelles et à me donner des siennes, lors de mon anniversaire et pour le nouvel an. Il attend évidemment que j’en fasse autant pour lui. Aussi était-il peiné que j’eusse oublié de le faire en février dernier, pour son anniversaire. Je ne le lui avais pas dit, mais ce n’était pas un oubli. Parce qu’il avait lui-même oublié mon anniversaire en novembre 2022, je m’étais senti dispensé de penser au sien la fois suivante. Sans doute était-ce un peu mesquin de ma part, mais j’étais heureux de ne plus avoir à jouer la comédie des bonnes relations avec quelqu’un que je n’ai pas cessé de mépriser avec les années, et qui, lui aussi, continue de détester mes goûts, mes idées, mes manières. Surtout, je voulais m’éviter l’une de ces pénibles conversations auxquelles donnent invariablement lieu l’institution non plus de notre ‘‘mariage’’, mais des bons vœux à nous renouveler chaque année ! Hélas pour moi cette fois, Tristan s’est souvenu de ne pas oublier mon anniversaire, si bien que j’ai dû subir une fois de plus la conversation redoutée. Comme tous les ans, il voulait savoir où j’en étais dans ma vie. Et comme à chaque fois, je ne savais que lui répondre. Comment savoir où l’on en est, si l’on n’a pas de plan de carrière ? Et je ne parle pas seulement de la carrière professionnelle. Je la dis au sens où l’on peut en cheveux blancs terminer sa carrière. À la question sur mes amours, j’ai répondu que je n’aspirais plus vraiment à de tels divertissements, que l’amour n’avait sans doute été pour moi qu’une passade, ce que j’espère qu’il aura pris pour lui ! Alors lui est venue cette phrase extraordinaire : « À ton âge, tu as déjà abdiqué ? Il faut te bouger, Antire ! » Que voulez-vous répondre à quelqu’un qui vous dit qu’il vous faut vous bouger ? Mais comme il est pénible de se sentir jugé par qui l’on méprise, je n’ai pu m’empêcher de commencer à lui répondre, évidemment : que je n’avais jamais dit une telle chose ; que c’étaient ses propres conceptions qui le faisaient me parler d’abdication ; que j’en avais d’autres, etc. Qu’étais-je donc allé lui parler de mes conceptions ? J’ai senti que je risquais de réveiller le commissaire politique qui me sautait dessus au moindre écart de pensée du temps de notre cohabitation, qu’il faut entendre au sens politique du terme ! Je me suis souvenu que je ne pouvais faire taire ce petit procureur de chambre à coucher qu’en lui fourrant ma langue dans la bouche, ou autre chose. Seulement, hier, nous étions, lui dans Athènes et moi dans Argos : avec une telle distance entre nous, même monstrueusement pourvu, je n’aurais pu espérer le faire taire par l’introduction d’une part de moi dans le peu qu’il avait d’ouverture ! Je me suis donc efforcé de le feinter comme je pouvais, non sans quelque succès d’ailleurs, puisqu’il a fini par dire, d’un ton paterne : « Antire, quel misanthrope tu fais ! » La misanthropie passant pour un trait de caractère a quelque chose de plus acceptable qu’une opinion contraire aux siennes. On ne cherche pas plus à changer des traits de caractère que ceux d’un visage : on les prend comme ils sont, ou l’on s’en détourne. Et c’est ce que je voudrais faire désormais : me détourner définitivement de Tristan, dont je n’ai plus de raison de subir l’ombrageuse susceptibilité, maintenant que je ne peux plus jouir de ce que ses couverts recelaient d’agréments. Je me demande si je ne vais pas ajouter son nom à ma liste de personæ non gratæ. J’ai si peu mauvais fond, ou je manque tellement de constance, que je suis obligé de tenir une liste des personnes à qui je ne veux plus avoir affaire. Sans cette liste, que je m’astreins à relire régulièrement, pour ne pas oublier de détester tel ou tel (ou du moins pour me rappeler que leur commerce ne me vaut rien de bon), je serais capable de renouer des liens que j’ai oublié avoir moi-même rompus. La vie est trop courte, et ma complexion me porte trop à dilapider mon temps pour que j’en perde encore à de mauvaises fréquentations. Tityre a été le premier nom de cette liste. Je dois le connaître depuis mes dix-sept ans ! J’ai toujours su qu’il était parfaitement odieux, immoral, dangereux même, mais il n’y a qu’un an que l’idée m’est venue de couper tous les ponts avec lui ! Il y avait déjà eu des ruptures, mais je finissais toujours par en oublier les raisons. Je ne m’étais pas avisé que Tityre était infréquentable par principe ! Comme j’en ai moi-même assez peu, ma liste m’en tient lieu. Bien sûr, il m’arrive encore de croiser Tityre, à la Galerie Fabienne surtout, pour les vernissages ou lors des assemblées générales. Mais grâce à ma liste, je suis mieux sur mes gardes. Le problème avec Tristan, c’est que je ne sais pas si son éventuelle mise à l’index me serait inspirée par les idées fausses qu’il se fait sur moi ou si c’est au contraire parce qu’elles sont justes que ces idées me sont désagréables au point que je veuille en mettre l’auteur à l’index. Il m’est très pénible de penser que me connaisse aussi bien quelqu’un dont toute l’ambition aura été de gagner assez d’argent pour pouvoir assurer à son chef l’ornement de ces prothèses capillaires aussi bluffantes qu’onéreuses. Tous les matins, je m’en souviens, le premier geste de Tristan, après avoir ouvert les yeux, était de vérifier sur le drap le nombre de cheveux que, déjà, son émouvante jeunesse avait perdus dans la nuit ! Lorsque je me réveillais d’humeur cruelle, je m’amusais à lui demander s’il n’en avait pas semé ce matin-là plus que la veille. Peut-être a-t-il acquis à cause de cela le droit de me juger sévèrement. Mais peut-on dire vrai, quand on s’affuble de faux cheveux ? Tristan est encore plus beau maintenant, c’est vrai. Mais il est surtout plus faux. Et le vrai venu du faux m’est proprement insupportable. Est-il moins vrai pour autant ? N’ai-je pas abdiqué, comme le dit Tristan ? Tout le fiel de ce journal ne prouve-t-il pas mon amertume ? Ma prétendue misanthropie n’est-elle pas qu’une déficience psychique. Mes velléités d’écriture ne sont-elles pas que mon inertie, mon impuissance ‘‘en action’’ ? Lorsque Tristan se met à me regarder de haut, ou à dire vrai (mais c’est tout un), je dois me faire violence pour ne pas laisser échapper quelque méchante allusion à sa chevelure postiche. Si bien que c’est pour son bien, pourrais-je dire, que je dois rompre tout à fait avec lui : pour ne pas le blesser encore.

03.XI.2023

03/11/2023, 23:37 | Lien permanent | Commentaires (0)

Des premiers de ce mois, c’est le plus simple et gai :

Deux vers composeront notre brin de muguet !

01.V.2020

01/05/2020, 15:10 | Lien permanent | Commentaires (0)

Que j’aime vos effets, divine impéritie !

Grâce à vous l’on découvre où demeurer ici.

11.IV.2020

(Vingt-sixième jour de confinement)

11/04/2020, 11:10 | Lien permanent | Commentaires (0)

Et l’on vit à la fin Benjamin l’ithyphalle

S’écrier tel Mackie du couteau : « Gut – ich falle. »

15.II.2020

(Benjamin Griveaux)

15/02/2020, 20:22 | Lien permanent | Commentaires (0)

Il y a dans le clair de mes yeux tant de glace

Que jamais on n'y voit le reflet d’une face

19.XII.2019

19/12/2019, 21:46 | Lien permanent | Commentaires (0)

Ballade dAntigone

 

Pauvre Antigone, ô ma dame de Thèbes,

Qui fus enfant dans les infernaux bains,

Si tu devais revenir de l’Erèbe,

Tu trouverais le royaume thébain

Conquis par l’épigone et par l’aubain.

Dans un tombeau repose Polynice,

Ce renégat, de l’ennemi complice ;

Ton autre frère est tombé de son socle :

Il gît, abandonné d’Athéna Nice,

Et n’a pour le chanter aucun Sophocle.

 

De noirs corbeaux font à son corps d’éphèbe

L’outrage odieux d’un indécent festin.

Verser sur son cadavre un peu de glèbe,

Pour rendre au mort l’office clandestin,

Tel serait or de sa sœur le destin.

Tu tomberais aux mains de la police

Et connaîtrais de Créon la justice !

Ainsi fait-on à qui veut d’Etéocle

Faire un tombeau : il est mis au supplice

Et n’a pour le chanter aucun Sophocle.

 

Dans la cité grossit tout une plèbe

De Béotiens vaincus et d’esprits vains.

C’est une mer qui jamais n’est à l’èbe.

Du bataillon sacré, il n’est pas vingt

Garçons encore. On chercherait en vain

L’Hémon qui te suivrait dans l’édifice

D’Hadès : la vie offre trop de délices,

Et l’on craindrait de casser ses binocles !

L’homme aujourd’hui veut mourir à l’hospice

Et n’a pour le chanter aucun Sophocle.

 

Dame Antigone, ô notre impératrice,

Sais-tu s’il est encore, entrant en lice,

Mais ignoré de tous, un fier Patrocle,

Qui ose aller au-devant des sévices

Et n’a pour le chanter aucun Sophocle ?

 

24.XI.2019

24/11/2019, 22:18 | Lien permanent | Commentaires (0)

Ballade du concours de Blois

 

Je meurs de soif auprès de la fontaine.

Brûlant d’aimer, je suis tout refroidi

Du moindre égard qu’une figure humaine

Porte au pauvre de moi. Si mercredi

L’amour me gagne, il m’a fui dès jeudi.

(J’ai plus connu que la grande passion

La petite amourette !) Et quand le don

M’est enfin fait de l’amour véritable

(Je parle de Clément, nouvel Adon),

Même affamé, je ne vais à table.

 

Ma langue, au lieu d’aller fouiller l’haleine

Du beau garçon, se fige et s’engourdit.

De tous les mots dont j’ai la tête pleine,

Pas un ne sort : je demeure interdit.

Le cœur me manque aussitôt qu’enhardi.

J’ai dans l’oreille un entêtant bourdon.

Pour un regard, toute ma déraison

Me croit l’égal d’un grand dieu vénérable ;

Par un regard, je suis pauvre en prison :

Même affamé, je ne vais pas à table.

 

Plus il est proche et plus semble lointaine

La chance d’explorer son paradis.

Plus il s’éloigne et moins semble incertaine

L’institution de nos gymnopédies.

Trouver l’amour est une tragédie :

On garde espoir en perdant la raison ;

On désespère à force d’oraison.

Traînant ma soif dans un désert de sable,

Je n’ai mirage en lieu de guérison :

Même affamé, je ne vais pas à table.

 

Prince Clément, qui portes mal ton nom,

Se peut-il qu’en ta veine aille un poison

Pareil au mien, dont tu dises, affable :

« Je hais et j’aime et, par toute saison,

Même affamé, je ne vais pas à table » ?

 

11.XI.2019

 

Un lien menant à l’enregistrement d’une lecture par l'auteur de cette ballade se trouve dans les commentaires.

11/11/2019, 12:29 | Lien permanent | Commentaires (4)

Rondeau

 

Clément, le doux son de ta voix

Loge en mon cœur comme une écharde

Elargissant une lézarde

Me déchirant quand je te vois.

 

En ta présence on reste coi,

Ne sachant pas si tu regardes

            Clément

 

Ton prochain cloué sur la croix.

Donne-moi donc, ce pauvre barde,

La clef du secret que tu gardes.

Mais à quoi bon ? Souvent, je crois,

            Clef ment…

 

02.11.2019

 

Un lien menant à l’enregistrement d’une lecture de ce rondeau par l’auteur se trouve dans les commentaires.

02/11/2019, 18:02 | Lien permanent | Commentaires (1)